Réseaux sociaux – des pistes pour relever les défis de l’accompagnement parental

Article rédigé pour le numéro hors-série du magazine École branchée sur la famille publié à l’automne 2019 (disponible sur ecolebranchee.com). Merci à Julie R.-Bordeleau et Audrey Miller pour cette opportunité!

1986.

Dans une salle de classe d’une polyvalente, deux mains se rejoignent furtivement, laissant passer d’une à l’autre un petit papier, savamment plié, renfermant un message de haute importance. Cette communication s’est réalisée une fois de plus à l’insu de leur enseignant.

1991

Une mère vient de trébucher dans la grande rallonge du fil de téléphone qui fait son chemin de la cuisine à l’une des chambres à coucher. S’ensuit alors un “toc-toc-toc” sur la porte : “Coudonc, ça fait combien de temps que tu es sur la ligne avec ton ami(e)? T’as réglé tes devoirs au moins?

Il y a fort à parier que ceux qui ont été adolescents dans les années 1980 et 1990 sont familiers avec ces deux situations. Cependant, aux yeux des jeunes d’aujourd’hui, ces situations peuvent sembler archaïques, du moins technologiquement parlant. Force est de constater qu’en l’espace de deux générations, les outils de communication ont évolué très rapidement. Le téléphone filaire et les petits papiers pliés ont laissé place aux appareils mobiles connectés en tout temps. L’interactivité et l’instantanéité des textos et des appels vidéos font paraître la réalité de notre jeunesse bien lente et plutôt noir et blanc.

Si on se détache de l’angle technologique, les besoins des adolescents (et pré-adolescents) demeure néanmoins semblable d’une génération à l’autre: entrer en relation avec des jeunes de son âge qui partagent les mêmes intérêts et aspirations, et faire découvrir les nouvelles tendances à ses amis, participant ainsi activement à une culture parallèle à celle des adultes. Nous avions la radio FM pour découvrir les nouveaux succès au palmarès, ils ont Spotify. Nous avons eu Musique Plus pour nous abreuver de vidéoclips, ils ont YouTube. Nous chérissions le Walkman jaune pour trimbaler notre musique partout, ils ont le iPhone en multiple couleurs. 

Donc plus ça change, plus c’est pareil? 

Néanmoins, les outils numériques dont ils disposent aujourd’hui ont une puissance bien plus grande que ceux disponibles dans les années de notre jeunesse analogique. Rapidité, instantanéité, réactivité… la connectivité tous azimuts, via des plateformes conviviales, colorées, toujours optimisées, ouvertes 24/7. Nos après-midis passifs devant une télé non interactive paraissent bien monotones lorsqu’on les compare avec ce nouveau panorama.

Voilà donc le noeud principal du « gap générationnel ».  S’ils souhaitent fondamentalement la même chose que leurs parents au même âge, force est de constater qu’ils trouvent tout (et même ce qu’ils ne cherchent pas vraiment) avec une facilité déconcertante. Et tout va vite!  Avec une batterie encore active et un accès Wi-Fi, leur appareil leur donne accès à un monde infini. 

La vie en ligne des jeunes

Selon les chiffres du site web HabiloMédias, c’est déjà plus de la moitié des jeunes canadiens qui possèdent un appareil connecté à leur entrée au secondaire. Et ce chiffre grimpe à près de 80% à mi-parcours.

Et que font-il lorsqu’ils sont branchés? L’enquête du CEFRIO (2017) révélait que, dans une semaine typique, les 12-15 ans :

  • regardent des vidéos (88%)
  • fréquentent les réseaux sociaux (66%)
  • écoutent de la musique (62%)
  • clavardent avec des amis (59%)
  • jouent à des jeux en ligne (56%)

À noter que le travail scolaire ne fait pas le top 5 (38%)!

Et qu’est-ce que ces principales activités ont en commun? Elles sont sociales. On l’oublie souvent, mais YouTube et Spotify, les géants de la vidéo et de la musique en continu, ont des fonctions d’interaction et de partage, qui vont bien au-delà du numéro 1-900 à composer afin de voter au Combat des clips du vendredi soir à Musique Plus.

Via leur app de messagerie ou leur jeu en réseau, il y a constamment quelqu’un au bout du fil. Et lorsque l’activité ralentit, il y a toujours un fil d’actualité à mettre à jour sur le réseau social favori, où de savants algorithmes se chargent de rafraîchir le contenu et guider subtilement dans ce labyrinthe d’informations.

Bien que certains les identifient comme les “natifs du numérique” (digital natives), il serait simpliste de les qualifier tout de go comme compétents dans ce domaine. Malgré leur vif intérêt pour les appareils numériques de tous genres, et considérant le fait que plusieurs les utilisent dès un très jeune âge, il ne faudrait pas associer utilisation et compétence. Au coeur de cet écosystème complexe, les jeunes peuvent aisément manquer de repères.

Accompagner et responsabiliser

Les dangers et les écueils sont nombreux. L’accompagnement d’un adulte, particulièrement à la maison, apparaît donc essentiel afin de responsabiliser et ultimement autonomiser (ce qu’on nomme empowerment en anglais) les jeunes dans la gestion de leur vie numérique. Bien qu’il n’existe pas de recette universelle, voici quelques enjeux incontournables à considérer :

la gestion de son identité numérique

Citoyenneté numérique, cyberintimidation, propriété intellectuelle, cybersécurité, cyberdépendance : autant de nouvelles dimensions issues du numérique qui s’ajoutent à notre réalité. Les jeunes doivent désormais composer avec une double identité : une dans le monde réel qu’ils développent depuis la tendre enfance, une nouvelle dans le monde numérique, parfois divisée en une multitude d’avatars sur les différents réseaux, qu’ils doivent entretenir.

Vie publique ou vie privée? Voilà des frontières floues pas faciles à gérer pour les jeunes. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, organisme du gouvernement fédéral, souligne sur son site web que pour sensibiliser les jeunes à la vie privée, il faut « les aider à acquérir les compétences qui leur permettront d’évaluer les situations de façon éclairée par eux-mêmes. »

la dictature des notifications

Comme le soulignait Tristan Harris, ancien designer chez Google, nos appareils sont conçus pour nous impliquer le plus possible, nous divertir et nous faire réagir. Au-delà de leur design coloré et attrayant, les applications nous interpellent directement via les notifications. Ces dernières surgissent ponctuellement et sont là pour nous rappeler qu’on doit faire quelque chose. Recevoir une notification, c’est comme être gagnant à une machine à sous. D’ailleurs, ne faut-il pas souvent glisser vers le bas avec notre pouce pour les actualiser, comme on le fait avec un levier de machine?

À ce sujet, un épisode de l’émission Banc public, animé par Guylaine Tremblay, explorait récemment cette dimension de notre relation avec nos appareils et des dangers qui y sont reliés.

information et désinformation : au-delà de la bulle de filtre

Les algorithmes des réseaux sociaux ont été créés pour s’assurer que seul le contenu pertinent et intéressant aux yeux des utilisateurs n’apparaissent sur leurs fils d’actualité personnalisés. Facile de s’enfermer dans une bulle où l’on est exposé seulement à ce qu’on aime, à ce qu’on pense, et ultimement à ce que l’on croit. Tout ça dans un contexte où l’on voit émerger le phénomène inquiétant des fausses nouvelles.

À ce sujet, le site web #30sec avant d’y croire, initiative de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et développée en collaboration avec l’Agence Science-Presse, offre des ressources pertinentes dans le but de contrer le phénomène grandissant des fausses nouvelles.

le panorama changeant des réseaux sociaux

Par sa taille imposante, on pourrait presque croire que Facebook est LE SEUL réseau social. Bien que les adultes soient présents et actifs majoritairement sur cette plateforme, les enquêtes réalisées auprès des plus jeunes nous révèlent qu’ils y sont de moins en moins. Ils semblent trouver un réseau pour chaque besoin, chaque intérêt. On les retrouve par exemple sur Instagram pour les photos et les vidéos, Snapchat pour la messagerie instantanée, Twitch pour le streaming de vidéos, particulièrement de jeux vidéo, Tik Tok pour la musique, sans compter YouTube et tous les jeux en ligne.

Une ressource pour prendre le temps d’y voir plus clair : la campagne sociétale PAUSE, parrainée par l’organisme québécois Capsana .

La communication : une clé essentielle dans l’accompagnement de son enfant

Sans connaître toutes les subtilités des différentes plateformes et réseaux – parce que ça évolue très vite et que l’offre est de plus en plus nichée, il importe aux parents de s’intéresser à la vie numérique de leur jeune et d’en parler avec eux.

Lors de la publication de la méta-analyse à laquelle il a collaboré en 2017 (réalisée à partir de 59 études menées sur près de 30 000 jeunes), le psychologue allemand Markus Appel conclut à l’importance de la communication parent-enfant :

« Les parents devraient s’intéresser à ce que font leurs enfants avec les médias sociaux, à connaître les différents réseaux et être ouverts à en comprendre leur usage. Plus les parents sont ouverts d’esprit par rapport aux activités en ligne de leurs enfants, meilleure sera la communication avec eux. »

Markus Appel, psychologue

Même son de cloche du côté du livre Parents dans un monde d’écran, de Catalina Briceno et Marie-Claude Ducas, paru au printemps dernier : « À leur tour, [les jeunes] auront des choses à vous apprendre, notamment sur la façon d’interagir avec les technologies, de se comporter dans certains environnements numériques ou sur les codes de communication dans les réseaux sociaux ». Les auteures ajoutent :

« Réjouissez-vous de leurs connaissances, mais ne soyez pas intimidé : ils ont toujours besoin de l’encadrement que vous pouvez leur apporter en vous appuyant sur votre perspective et votre expérience de vie. » 

Catalina Briceno et Marie-Claude Ducas, Parents dans un monde d’écran, Éditions de l’Homme, 2019, page 145.

Comme parent, nous avons donc clairement un rôle de premier plan à jouer dans la vie numérique de notre enfant, grâce à un encadrement bienveillant, basé sur l’écoute et l’échange. Et même si notre propre jeunesse s’est déroulée dans un monde où la technologie était moins omniprésente, ça ne signifie pas pour autant que « c’était bien mieux avant »… 😉

ℹ️ Des incontournables

Sur le web

HabiloMédias
https://habilomedias.ca/pour-parents

Livre

Parents dans un monde d’écran, de Catalina Briceno et Marie-Claude Ducas http://www.editions-homme.com/parents-dans-monde-ecrans/catalina-briceno/livre/9782761950084

Pour aller plus loin

Le panorama 2019 des médias sociaux 2019, de Fred Cavazza https://fredcavazza.net/2019/05/12/panorama-des-medias-sociaux-2019/

[Image d’en-tête du billet : Photo de George Pagan III via Unsplash]

Publié par Maxime Pelchat

Enseignant et stratège numérique

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